Recherche FFJ Research Statement Evolution socio-économiques et mobilités

Evolution socio-économiques et mobilités


Pourquoi prendre en compte
les évolutions socio-économiques
pour imaginer les mobilités
urbaines de demain ?

Présentation de Beatriz Fernandez
dans le cadre du webinaire FFJ-Movin’On
(13/11/2024)

Beatriz FERNANDEZ

Maîtresse de conférence, Géographie-cités - EHESS

2024/05/17

Au cœur des discours médiatiques et politiques, les métropoles se voient souvent glorifiées en tant que foyers incontestés de croissance économique et démographique, symbolisant jeunesse et dynamisme. Cependant, un examen approfondi et à des échelles fines, basé sur la présentation de Beatriz Fernandez le 13 novembre 2023, révèle une réalité plus complexe et nuancée. Ce webinaire s'efforce de déconstruire les notions préconçues, invitant à envisager les métropoles non comme un tout homogène, mais plutôt comme une mosaïque de situations contrastées.

Ile-de-France : revenu médian par unité de consommation et par commune (2001-2019).
Source : 
©ANR EnversMet, cartographie: Prudence Zocca

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Le récit traditionnel opposant les métropoles à la France périphérique doit, tout d’abord, être questionné. Les territoires de moins de 50 000 habitants, notamment dans les régions autrefois industrielles et minières, font face à une décroissance démographique associée à des maux tels que la pauvreté, la vacance des logements et des commerces, ainsi que la fermeture des services publics. Cette décroissance est souvent socialement sélective, avec une fuite des qualifications et une assignation des autres populations dans leurs territoires d'origine.

Les métropoles, souvent considérées comme des gagnantes dans cette nouvelle donne territoriale, révèlent pourtant des trajectoires divergentes. Des exemples comme Rouen, Strasbourg et Paris démontrent que la croissance de l'emploi peut aussi être faible dans des contextes métropolitains. De plus, les dynamiques démographiques globalement croissantes des métropoles masquent des réalités intramétropolitaines très diverses, montrant que les villes-centre1 sont souvent plus fragiles du point de vue démographique que leurs périphéries.

L'analyse des migrations résidentielles met en lumière non seulement une sélectivité sociale bien connue, mais aussi du point de vue de l’âge des habitants dans les départs des villes-centre. Si les jeunes d’entre 20 et 30 ans sont attirés par ces pôles urbains (ce qui conforte l’idée d’une métropole jeune), les couples d'âge moyen avec des enfants (notamment de 0 à 5 ans) semblent contribuer, par leur départ, à la décroissance démographique. Cela soulève des questions importantes sur les populations qui restent et celles qui partent, avec des implications non seulement sociales, mais aussi en termes de vieillissement de la population.

Paris et Madrid, deux métropoles emblématiques, offrent des perspectives intéressantes pour ce type d’analyse. Alors que les deux villes-centre sont touchées par des pertes de population depuis 2000, les dynamiques démographiques de ces villes révèlent des nuances importantes. Les seniors parisiens ont plus tendance à rester en ville que celles et ceux qui habitent en banlieue ou en grande couronne francilienne, créant un phénomène de "vieillissement sur place". Le vieillissement de la ville de Paris découle donc d’un double phénomène : le départ des jeunes familles et le maintien sur place des populations âgées.

Ile-de-France : vieillissement (part des personnes de plus de 65 ans) par commune (1999-2019).
Source : 
©ANR EnversMet, cartographie: Prudence Zocca

Madrid connaît des migrations plus complexes, influencées d’une part par le contexte économique ; tout d’abord, le boom immobilier des années 2000, puis par la crise financière et l’éclatement de la bulle à partir de 2008 et une certaine récupération. D’autre part, à Madrid et de manière générale en Espagne, les mobilités résidentielles sont moins nombreuses du fait de la forte proportion de ménages propriétaires, y compris parmi les classes populaires, ce qui découle sur une forte tendance à rester dans la même résidence, quartier et ville.


Communauté Autonome de Madrid : vieillissement (part des personnes de plus de 65 ans) par commune (1999-2019).
Source : 
©ANR EnversMet, cartographie: Prudence Zocca

Les cartes de l’Ile-de-France et de la Communauté autonome de Madrid dépeignent un tableau plus nuancé de ces tendances. Le vieillissement progressif, même dans des zones historiquement jeunes, est clair, soulignant les liens complexes entre vieillissement et décroissance démographique. Les inégalités spatiales et générationnelles se font jour, remettant en question l'idée des métropoles comme des moteurs uniformément jeunes et dynamiques.


Comparaison entre l'Ile-de-France et la Communauté Autonome de Madrid : écart à la moyenne des personnes de plus de 65 ans.
Source : 
©ANR EnversMet, cartographie: Prudence Zocca

Comparant les dynamiques de Paris et Madrid, il est évident que ces métropoles, bien qu'elles soient globalement jeunes, abritent des villes-centre et des espaces périurbains lointains (et/ou mal connectés) caractérisés par une proportion plus élevée de personnes âgées, mettant en lumière des défis spécifiques auxquels sont confrontés ces territoires.

Les implications en matière de mobilité découlant des évolutions démographiques des communes sont multiples. Les localités en croissance démographique bénéficient généralement d'une bonne desserte, que ce soit par des réseaux de transports en commun efficaces ou des infrastructures routières bien développées. En revanche, les communes en déclin démographique sont (à l’exception des villes-centre) souvent mal connectées, mais la nécessité de répondre aux défis climatiques actuels nous pousse à réduire notre dépendance à la voiture. Cela soulève la question des modes de transports alternatifs. Deux types de territoires sont particulièrement touchés par la perte de population et le vieillissement : les centres métropolitains denses et le périurbain éloigné. Ces deux situations présentent des défis distincts en termes de mobilités. Les communes en périphérie des grandes agglomérations, comme celles en Île-de-France ou dans la Communauté Autonome de Madrid, ont en moyenne des revenus inférieurs à la moyenne régionale. Ces territoires, caractérisés par une faible densité, dépendent fortement de la voiture, ce qui représente un double défi en raison de leur population vieillissante et de leur composition majoritairement issue des classes populaires et/ou moyennes.

L'hypercentre, bien que privilégiant a priori les modes de mobilité douce et la proximité, doit faire face à des défis particuliers. Une part croissante de sa population résidente est en effet âgée, ce qui engendre des contraintes en termes de mobilité, notamment une difficulté à profiter pleinement des modes de déplacement doux. Par ailleurs, les dynamiques de gentrification et d'embourgeoisement des centres métropolitains ne doivent pas faire oublier la présence significative de populations âgées issues des classes populaires, qu'elles soient propriétaires ou locataires de logements sociaux. Les transformations dans les commerces et les services induites par la gentrification, notamment la raréfaction des commerces de proximité et d’alimentation, ont ainsi des conséquences importantes sur ces segments de la population.

En conclusion, la vision traditionnelle des métropoles comme des pôles de croissance dynamiques doit être nuancée. Les dynamiques démographiques révèlent des inégalités spatiales et générationnelles complexes, exigeant une analyse approfondie pour comprendre les réalités complexes et changeantes de ces territoires urbains. Les implications en matière de mobilité varient selon la croissance ou la décroissance démographique des communes, avec des enjeux spécifiques dans les zones mal desservies et vieillissantes. Enfin, la vision des métropoles comme des moteurs uniformément jeunes et dynamiques doit être nuancée pour souligner la complexité des réalités intramétropolitaines. Les transformations sociales et les défis de mobilité exigent des approches adaptées à chaque contexte, évitant les généralisations simplistes. C'est dans cette compréhension nuancée que se trouve la clé pour penser des solutions de mobilités plus équitables et durables.

Note

1La ville-centre est la commune centrale (dans ses limites administratives) d'une agglomération. http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/ville-centre-centre-ville