Publications Newsletter Lettre 2015-1
La Lettre de la Fondation France-Japon de l'EHESS

No 2015-01 
Février 2015
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1 - Éditorial 
 
"Inauguration du Centre d’Etudes Avancées Franco-Japonais de Paris"Par Pierre-Cyrille Hautcœur, président de l’EHESS
 
[...] L’EHESS a depuis sa naissance l’ambition de comprendre le monde entier, dans sa diversité et son unité, comme en témoignent des noms comme Claude Levi-Straus ou Fernand Braudel. L’EHESS accueille ainsi à la fois des centres de recherche spécialisés sur les différentes aires culturelles du monde et des programmes transversaux comparatistes ou visant à étudier dans toute leur profondeur historique les processus globaux ou inter-ré- gionaux qui animent les sociétés et les économies. 
L’engagement de l’EHESS dans ses relations avec les universités et les collègues japonais a plus de 40 ans, et remonte à la création, par Christian Sautter, du Centre d’étude sur le Japon contemporain. La création aujurd’hui du Centre d’études avancées de la FFJ s’inscrit dans cette tradition tout en renouvelant profondément nos relations avec le Japon par la création d’une véritable capacité d’accueil de longue durée de chercheurs japonais en France. [...]


2 - Actualité de la Fondation
 
Vendredi 5 décembre 2014, Paris
Inauguration du Centre d'études avancées franco-japonais de Paris


Carnet de chercheur 
«Economic Crises and Policy Regimes» 
Par Hideko Magara, Université de Waseda
Lire l'article


3 - Informations sur les prochaines activités
 
Jeudi 12 février 2015 de 18h à 20h, Paris
Titre : "
Justice, procès de crimes de guerre et sortie de guerre en Asie orientale"
Conférencier : Barak Kushner (Université de Cambridge)
Lieu : École des hautes études en sciences sociales (190 Avenue de France 75013 Paris), salle 638
Discutants : Henry Rousso (Institut d'histoire du temps présent/CNRS), Samia Ferhat (Université Paris Ouest Nanterre La Défense), Alain Delissen (EHESS)
Le nombre de place étant limité, l'inscription est vivement recommandée par email à l'adresse suivant : 
ffj@ehess.fr
 
Vendredi 13 février 2015, Paris
Séminaire en collaboration avec l'Ambassade du Japon 
« L'évolution de la politique de l'aide publique au développement : codifier la "contribution proactive à la paix" ? »
Télécharger le programme
Conférencier : Akiko Fukushima (Aoyama Gakuin University) 
Lieu : École des hautes études en sciences sociales (190 avenue de France Paris 13e), Salle 662

12 mars - 18 mars 2015, Paris 
Série de conférences de Toshimitsu SHINKAWA (Université de Kyoto), professeur invité de à l'EHESS par Sébastien Lechevalier, sur l'économie politique des rgimes de protection sociale, la politique sociale face au déclin démographique, et les nouvelles politiques de l'intégration sociale dansl les états sociaux asiatiques et européens.
Inscription vivement récommandée : ffj@ehess.fr

Jeudi 12 mars 2015 de 18h à 20h 
«Familialism in East Asia: A Comparison of Japan, Korea, and Taiwan» 
Conférence organisée par la Fondation France-Japon de l’EHESS
Lieu : EHESS (190 av de France 75013 Paris), salle combinée 638-640 (6ème étage)

Vendredi 13 mars 2015 de 9h à 12h 
«Social Policies and welfare states facing social and demographic changes. Comparative perspectives», séance doctorale.
Lieu : EHESS (190 av de France 75013 Paris), salle 662 (6ème étage)

Mardi 17 mars 2015 de 17h à 19h
«Welfare Regime Transformation in Japan» dans le cadre du séminaire de Yohann Aucante «Les réformes de la protection sociale : perspectives internationales comparées»
Lieu : EHESS (105 bd Raspail 75006 Paris), salle 9

Mercredi 18 mars 2015 de 13h à 15h 
«Social Democracy in Japan: Its peculiarity and Limits» dans le cadre du séminaire de Sébastien Lechevalier «Capitalismes asiatiques : changement institutionnel, inégalités et protection sociale»
Lieu : EHESS (190 av de France 75013 Paris), salle 638 (6ème étage)
 

4 - Contributions spéciales

"Présenter la Grande Guerre au Japon, en 2014 : retour d’expérience"
Stéphane Audoin-Rouzeau
 
C’est une simple préface qui m’a valu de partir parler de la Grande Guerre au Japon, en cette année de Centenaire du premier conflit mondial. Il y a deux ans en effet, j’ai eu l’honneur de préfacer pour le lectorat français l’ouvrage du Professeur Takahashi Tetsuya, Morts pour l’empereur. La question du Yasukuni*1. Un livre dont le succès a été immense au Japon lors de sa parution, mais aussi hors de ce pays, et notamment en Corée. Conseillé par l’historien Arnaud Nanta, dont j’ai fait la connaissance à cette occasion, l’éditeur avait donc songé à faire préfacer l’ouvrage par un historien français de la Grande Guerre, pourtant dépourvu de toute compétence sur le sujet et qui, en outre, ne s’était jamais rendu au Japon et n’avait donc jamais visité le Yasukuni.

Pourtant, guidé très intelligemment par Arnaud Nanta (lui-même traducteur de l’ouvrage), je me suis vite rendu compte qu’un spécialiste de la Grande Guerre, et de ce fait même historien de la mort et du deuil de masse, pouvait n’être pas trop désorienté face au culte japonais des morts au combat depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours. A la lecture, j’étais en outre particulièrement séduit par la fermeté de la position de l’auteur du livre, certes très hostile au Yasukuni, mais sans jamais abandonner une posture compréhensive à l’égard de ceux qui lui étaient favorables, à commencer par les familles touchées par le deuil. En bref, il m’est apparu que si le grand historien George Mosse avait eu connaissance du culte des morts à la guerre au Japon et du rôle central joué par le Yasukuni, la perspective de son maître livre – Fallen Soldiers*2 , qui a tant inspiré les historiens de la Grande Guerre – en eût été considérablement enrichie.
 
J’ai été très heureux d’apprendre que le Professeur Takahashi avait apprécié ma tentative d’ « ouvrir » son ouvrage à destination du lectorat français, et plus heureux encore d’apprendre que j’allais pouvoir le rencontrer afin de débattre avec lui grâce à une généreuse invitation de la Maison Franco-Japonaise à donner trois conférences au Japon, à l’occasion du Centenaire de la Grande Guerre. Une Grande Guerre à laquelle le Japon avait participé, certes, et dont les conséquences géopolitiques furent pour lui non négligeables*3, mais qui n’en avait pas moins fait partie des puissances restées à la marge du grand conflit.
 
La première conférence, le 1er octobre, consista précisément en un dialogue avec l’auteur de Morts pour l’empereur, à la maison Franco-Japonaise de Tokyo. A mon propos sur « Le retour de la Grande Guerre en France, 1990-2014 - Histoire, commémoration, deuil », rendu accessible grâce à une traduction simultanée particulièrement bien préparée, le professeur Takahashi a répondu en développant sa propre compréhension  du culte des morts. L’échange, passionnant, resta toutefois assez formel : un large public, la présence de l’ambassadeur de France, les deux emplacements de parole très éloignés l’un de l’autre ne facilitaient pas un échange plus direct, et ce d’autant moins que l’auteur de Morts pour l’empereur – philosophe qui lit en français des textes qui me restent, hélas, inaccessibles – dialogue moins aisément dans cette langue.

Le lendemain, c’était à des étudiantes – l’université Shizuoko est exclusivement féminine – auxquelles il fallait s’adresser. Le Professeur Kenmochi m’avait demandé un propos sur la muséographie de la première guerre mondiale, à travers le cas de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, dans la Somme. Traduit de manière consécutive par un jeune chercheur, j’ai pu organiser une visite virtuelle du musée de Péronne en adossant le propos à un corpus photographique portant sur les différentes salles. Aux questions des étudiantes, j’ai pu mesurer l’écart entre la vision du fait guerrier proposée par l’Historial (portant certes exclusivement sur 1914-1918) et celle offerte par le musée d’Hiroshima, qui lui fut spontanément comparé.

A Kyoto, le 4 octobre, j’étais accueilli dans le cadre du séminaire du professeur Yamamuro, autour duquel s’organise un groupe de travail centré précisément sur le premier conflit mondial, et qui m’offrit pour l’Historial un numéro d’une revue japonaise illustrée datant de l’année 1914, issu de sa collection personnelle.

Face à un tel auditoire, le défi était évidemment difficile à relever. Devant un groupe aussi aiguisé, et aussi largement interdisciplinaire, il m’avait semblé intéressant de prendre le plus de risques possibles : j’ai donc proposé, au titre d’expérience historiographique combinant mon goût de l’objet et du maniement des échelles micro, l’analyse approfondie d’un objet unique, mais d’une richesse exceptionnelle : une canne sculptée en 1917, sur le front des Vosges, par un soldat paysan français. La présentation se devait évidemment d’être très visuelle, pour permettre à l’auditoire de s’approprier, presque centimètre par centimètre, les représentations et les inscriptions inscrites sur l’objet en question. Plus largement, j’ai tenté d’expliquer que les objets pouvaient et devaient acquérir un statut de source à part entière, afin de créer des effets de connaissance et d’intelligibilité nouveaux sur la Grande Guerre. J’ai pris en effet cette canne comme un récit: le récit, sculpté dans le bois, par lequel son auteur avait donné sens à ce conflit dont il était l’un des modestes acteurs.

La discussion qui suivit fut serrée, comme je m’y attendais. Elle portait, ainsi qu’il était prévisible également, sur la représentativité d’un objet unique – sur « l’exceptionnel normal » de la micro histoire en quelque sorte – mais en appliquant cette problématique à la question des traces matérielles de la guerre.
La fluidité des échanges, dès lors que l’obstacle de la langue était surmonté (la traduction, consécutive là encore, était assurée avec une maîtrise remarquable par le docteur Ohji Kenta) m’a paru étonnante. J’ai été très frappé également par la connaissance très précise qu’avaient les collègues japonais de l’historiographie française (et non française !) de la Grande Guerre ; par leur connaissance de la muséographie ; par leurs questionnements très informés sur les polémiques historiennes en France, à propos desquelles j’ai eu à répondre à nombre de questions. Sans doute avais-je été prévenu, mais – pourquoi ne pas le dire ?– je n’en ai pas moins été très impressionné par une envie d’histoire si évidente, adossée à des compétences aussi sûres.

Stéphane Audoin-Rouzeau
EHESS
[1] Paris, Les Belles-Lettres, 2012.
[2] George Mosse, Fallen Soldiers. Reshaping the Memory of the World Wars, New York et Oxford, Oxford University Press, 1990.
[3] Voir à ce sujet l’important article (malheureusement très mal traduit) de Yamamuro Shin-Ichi, « L’empire du Japon et le choc de la Première Guerre mondiale », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2013/1, n°249, p.5-32.
 
 
"Le portrait d'un chercheur : l'histoire de l'art entre la France et le Japon"
Atsushi Miura

* Ce texte a été rédigé à l'occasion de la séance doctorale "Assimilation et diffusion réciproques des cultures française et japonaise à l'époque moderne et contemporaine" qui a eu lieu le 13 novembre 2014 à l'EHESS.
 
Avant de commencer ce séminaire exceptionnel, je me permets de vous raconter ma carrière et mon travail concernant le sujet du séminiare.
 
Je me suis mis à m’intéresser à la France et à l’art français à l’Université de Tokyo dans la première moitié des années 1980. Après avoir appris la langue française, mes intérêts se sont portés sur l’histoire de la peinture française du XIXe siècle. J’ai rédigé un mémoire de maîtrise sur Edouard Manet et puis, en tant que boursier du gouvernement français, je suis venu en France pour continuer mes études à l’Institut d’art et d’archéologie de l’Université de Paris IV sous la direction du professeur Bruno Foucart. J’ai finalement soutenu ma thèse de doctorat en 1997 au sujet des portraits d’artistes chez Manet et Fantin-Latour. C’est ainsi que j’ai commencé ma carrière en tant que chercheur sur l’art français. J’enseigne l’histoire de l’art français dans mes cours et séminaires à l’Université de Tokyo depuis que je suis devenu professeur d’histoire de l’art à l’Institut d’art et de science (Graduate school of Arts and Sciences) en 1993.

L’objet de mes recherches a été d’abord la peinture française de la seconde moitié du XIXe siècle, le réalisme, l’impressionnisme, et l’académisme aussi. Mais c’est déjà pendant mon premier séjour en France de 1985 à 1989 que j’ai trouvé un autre sujet d’études: les échanges artistiques entre France et Japon à la même période. D’une part, je me suis passionné de découvrir des documents sur le japonisme dans les journaux illustrés ou les albums photographiques et d’analyser les particularités de tableaux japonisants exposés dans les Salons des années 1860 et 1870. D’autre part, je me suis aussi enthousiasmé en cherchant les traces des peintres japonais qui sont venus à Paris à la même époque pour maîtriser la peinture française. Par exemple, j’ai mis en lumière le processus d’exécution de deux nus peints par Yamamoto Hosui à Paris. J’ai travaillé sérieusement sur ce second domaine de recherches depuis la fin des années 1980.

Or, parallèlement aux études et à l’enseigement à l’Université, j’ai collaboré à une quinzaine d’expositions sur l’art français et d’autres sujets. J’en ai organisé plusieurs en tant que commissaire, telles que Raphaël CollinImpressionnistes et leur époque: de Monet à CézanneLe chemin de fer et la peintureLa peinture francaise du XIXe siècle: académisme et modernité, etc. Parmi ces expositions, la première rétrospective de Raphaël Collin, présentée en 1999 et 2000, m’a intéressé énormément. Parce que Collin, peintre académique de la seconde moitié du XIXe siècle, a fait une très belle collection d’oeuvre d’art japonais, ce qui l’a situé évidemment dans la mouvance du japonisme. Ensuite il est indéniable que Collin a révélé dans sa peinture des influences de l’art japonais, ou plutôt des résonances avec l’art japonais, d’une manière personnelle et originale. En tout cas, il peut être regardé comme peintre du japonisme. Enfin, il a enseigné la peinture à de nombreux peintres japonais à Paris, à commencer par Kuroda Seiki, dans son atelier ou à l’Académie Colarossi. Puisque Kuroda Seiki est le fondateur de la peinture au style occidental au Japon, dite yoga, Raphaël Collin n’est autre que l’un des pères de la peinture japonaise moderne.

C’est pourquoi, par l’intermédiaire de Raphaël Colin se sont croisés le phénomène du japonisme en France et le problème de la peinture japonaise de style occidental. Je me suis rendu compte que Collin est une des figures-clef des échanges artistiques entre nos pays depuis le dernier quart du XIXe siècle.

J’ai donc commencé à approfondir et synthétiser trois aspects: le japonisme, Raphaël Collin et la peinture japonaise moderne, en tant que cas précis d’échanges culturels réciproques entre France et Japon. En 2007, professeur inivité à l’Université de Paris IV, j’ai été chargé de deux séminaires de Master 1 et 2. Dans le premier, j’ai enseigné le japonisme et, dans le second, la peinture japonaise de style occidental. Mais j’ai traité ces deux thèmes séparément à ce moment-là.

J’ai fait un nouveaux pas avec l’organisation du colloque international à la Maison franco-japonaise à Tokyo, en novembre 2008, intitulé Cent cinquante ans des échanges artistiques entre la France et le Japon. Douze chercheurs français et japonais se sont réunis pour faire des communications stimulantes et pour discuter de ce problème complexe de points de vue réciproques. Les actes du colloque ont été publiés l’année dernière en bilangue japonais-français intitulé, T​r​a​j​e​c​t​o​ir​e​s​ d​'​al​l​e​r​s​-​r​e​t​o​u​r​s, 150 ans d’échanges artistiques franco-japonais.

Plus récemment, j’ai collaboré avec Patricia Plaud-Dilhuit à l’Université de Rennes 2, pour oragniser un colloque international Territoires du Japonisme, en septembre 2012. Les actes sont publiés justement cette semaine. Et en mars 2014, j’ai fait une conférence à l’INHA, « Japon et impressionisme – Peinture japonaise moderne et collections de tableaux impressionnistes au Japon ». La réception de la peinture impressionniste au Japon est un autre sujet intéressant qui reste à élucider. Enfin, il faut citer l’Ecole de Printemps à Tokyo en juin, dont le thème était Wakugumi (cadre conceptuel). J’ai pensé essayer de problématiser les cadres, conceptuels et matériels, qui contrôlent l’“assimilation et la diffusion des cultures”. Et juste avant de venir à Paris, fin octobre et début novembre, j’ai fait une commuciation sur Raphaël Collin dans un colloque international, intitulé « Transcutural Framing(s): Materials and Metaphors » et organisé par Cluster of Excellence, Asia and Europe in a Global Context, à l’Université de Heidelberg. C’est comme cela que bien de chercheurs sont conscients de la relativité de cadres culturels et artistiques.

Dans cette série de conférence de la Fondation France-Japon de l’EHESS, je prends trois sujets différents. Hier j’ai déjà parlé des “peintres japonais à Paris entre 1878 et 1914” dans le cadre du séminaire de Professeur Eric Michaud. Le problème du japonisme sera traité dans une conférence du 19 novembre, « Les modalités de l’écriture dans la peinture française de la seconde moitié du XIXe siècle – sous rapport de l’art japonais et du japonisme ». Je parlerai de Raphaël Collin en tant qu’artiste entre japonisme et peinture japonaise moderne dans le cadre du séminaire de Professeur Brigitte Derlon, le 20 novembre. Et le titre de ce séminaire d’aujourd’hui, “Assimilation et diffusion réciproques des cultures française et japonaise à l'époque moderne et contemporaine”, inventé par Hiromi Matsui, résume l’essentiel de mes études pendant vingt cinq ans. J’espère que ce séminaire, bien que limité à une matinée, contibuera à approfondir les recherches de quatre intervenants et les intérêts d’autres participants et à former une nouvelle génération de chercheurs français et japonais qui s’intéressent aux études transculturelles entre nos deux pays.
 
 
Atsushi Miura
Université de Tokyo