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Scott Wilbur


L’Économie politique des entreprises zombies

24/04/2018

 

Les entreprises zombies, les entreprises non rentables qui survivent sur le marché grâce à des taux d’intérêt réduits et aux prêts d’abstention (Fukuda et Nakamura 2011; Imai 2016), sont généralement considérées comme un obstacle à la destruction créatrice schumpétérienne et à la régénération dans les économies post-crise. La sagesse conventionnelle suggère que les entreprises zombies inhibent la reprise économique non seulement par leur propre improductivité, mais aussi en réduisant les bénéfices potentiels des entreprises saines, qui ont moins de revenus à investir et pour embaucher de nouveaux employés, réduisant ainsi leur capacité à revitaliser l’économie (Caballero, Hoshi et Kashyap 2008).

D’abord identifiées lors de la crise américaine de l’épargne et du crédit (Kane 1987), les entreprises zombies sont largement associées à la croissance économique stagnante des « décennies perdues » du Japon depuis l’éclatement de la bulle spéculative au début des années 1990 (Katz 2003; Kawai et Morgan 2013; Prestowitz 2015). Après la crise financière mondiale de 2008, les économies en récession ont vu la situation du Japon comme une mise en garde sur la menace que représentent les entreprises zombies pour la croissance économique. Les représentants d’institutions et de gouvernements aussi variés que la Commission européenne, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Chine ont exprimé le désir commun de débarrasser leurs économies de ces entreprises (Stothard 2013, Bank of England 2012, 29-31, Summers 2012, 72; Zhongguo Xinwen Wang 2015).

Les recherches actuelles sur les entreprises zombies se concentrent principalement sur leurs effets économiques (Ahearne et Shinada 2005, Hoshi 2006, Kwon, Narita et Narita 2015, Tan, Huang et Woo 2016). Pour contribuer à cette littérature, mes recherches, basées sur l’économie politique, construisent une théorie autour des conditions politiques qui permettent l’apparition de ces entreprises. Pour développer la connaissance des mécanismes politiques causant l’apparition de ces entreprises, mes recherches se basent sur une méthode croisée à partir d’études de cas d’entreprises zombies. J’utilise d’abord un grand nombre de données au niveau de l’entreprise recueillant les informations sur leurs bilan pour évaluer le ratio d’entreprises zombies, pour identifier les périodes où ces entreprises une meilleure croissance et combien de temps elles ont un statut de zombie. Sur la base de ces statistiques, j’utilise ensuite l’analyse qualitative pour affiner les hypothèses sur les facteurs politiques qui permettent aux entreprises zombies d’exister en grande quantité. En plus d’utiliser des sources secondaires et des rapports gouvernementaux et d’organisations internationales, j’utilise des informations recueillies grâce à des entretiens avec des banquiers, des dirigeants d’entreprise, des politiciens, des bureaucrates gouvernementaux, des avocats et des économistes.

Jusqu’à présent, j’ai enquêté sur trois cas d’entreprises zombies de deux économies nationales : le Japon et la Chine. Au Japon, j’ai examiné séparément les entreprises zombies parmi les sociétés cotées en bourse (grandes entreprises) et les petites et moyennes entreprises (PME) depuis l’éclatement de la bulle au début des années 1990. Étonnamment, j’ai constaté que si les entreprises zombies ont généralement diminué dans les grandes entreprises au début des années 2000, leur présence est restée significative parmi les PME tout au long des années 2000 et même au début des années 2010 (Goto et Wilbur 2017). De plus, il est possible que le système de garantie de crédit du gouvernement japonais pour les PME, offrant des garanties de prêt à 100% à de nombreuses petites entreprises au cours de cette période, ait contribué au ratio élevé des PME zombies.

Pour comprendre pourquoi le système de garantie de crédit du Japon a persisté pendant une bonne partie des années 2000 en permettant des prêts peu risqués et éventuellement en soutenant la création de SME zombies, j’analyse l’élaboration des politiques sous l’angle théorique de la dérive (drift). Selon la dérive, les politiques peuvent ne pas être réformée après que de nouveaux développements modifient leurs effets sociaux bien que ces effets soient connus d’au moins certains acteurs politiques, pour des raisons telles que la séparation des pouvoirs, les exigences de majorité qualifiée, et l’incertitude quant aux effets du changement de politique (Hacker, Pierson et Thelen 2015).

Les preuves que j’ai découvertes suggèrent que le système de garantie du crédit a résisté au changement pendant une bonne partie des années 2000 en raison de la participation limitée du public à l’élaboration du système, malgré les inquiétudes généralisées et un soutien public relativement faible (Cabinet du Gouvernement du Japon, n.d.). De plus, les bureaucrates eux-mêmes hésitaient à réviser radicalement le système, de peur d’affaiblir leur propre pouvoir institutionnel vis-à-vis des bureaucrates d’autres agences, et d’avoir un impact considérable sur les PME fragiles dépendantes du système. Dans ce contexte, certaines caractéristiques fondamentales du système de garantie de crédit, y compris des garanties de crédit à 100% pour de nombreuses PME, ont continué et ont probablement contribué au nombre élevé d’entreprises zombies parmi les SME japonaises. La poursuite de ces caractéristiques a été soutenue par les banques régionales japonaises, dont beaucoup ont lutté contre l’évaluation des risques envers les PME emprunteuses et ont préféré le filet de sécurité fourni par le système, surtout en période de stagnation économique régionale.

Au-delà des cas des entreprises au Japon depuis les années 1990, j’ai également étudié le cas des entreprises zombies en Chine sur la période 1998-2015. Alors qu’au cours des dernières années, l’économie chinoise a souvent été comparée au Japon après la bulle (Orlik 2011; Hu 2015; Lewis, Mitchell et Yang 2017), j’ai découvert que dans la mesure où la Chine a connu des entreprises zombies, leurs mécanismes causaux ne semblent pas être les mêmes que ceux des entreprises zombies du Japon pendant les décennies perdues. Premièrement, les données sur les prêts improductifs dans les institutions financières chinoises suggèrent que les banques chinoises n’ont pas eu la même motivation que les banques à crédit à vie pour dissimuler leur dette, ce qui explique la création par les banques japonaises de grandes entreprises zombies dans les années 1990. De plus, les garanties de crédit chinois pour les PME ont existé à une échelle beaucoup plus petite qu’au Japon, ce qui signifie qu’elles n’ont pas eu le potentiel de générer des entreprises zombies d’une ampleur similaire. Peut-être une similitude a-t-elle été le fonctionnement de la loi sur la faillite. À l’exception notable de certaines régions à économie de marché plus développée, la Chine a généralement manqué d’un cadre propice à la restructuration des entreprises par la faillite juridique, une situation similaire au Japon avant la réforme de la loi sur les faillites au début du XXIe siècle.

Ayant effectué une première analyse sur les causes politiques des entreprises zombies dans ces deux cas nationaux, j’ai l’intention d’étendre mon étude à d’autres économies depuis la crise financière mondiale de 2008 afin d’approfondir et d’affiner la théorie des causes politiques des entreprises zombies. Je suis particulièrement intéressé par l’inclusion de cas européens dans mes recherches, car de récentes études en économie suggèrent que certaines économies européennes pourraient contenir de nombreuses entreprises zombies depuis la crise (Acharya et al 2017; McGowan, Andrews et Millot 2017). Des responsables de banques centrales de pays européens comme la France ont également comparé leurs économies au Japon en termes de niveaux élevés d’endettement des entreprises, ce qui pourrait indiquer une certaine morosité dans le secteur des entreprises après la crise de la zone euro (Bird 2015). Cependant, d’autres recherches suggèrent que l’ampleur du problème des entreprises zombies en France n’a pas été sérieuse (Avouyi-Dovi et al., 2016).

Mes objectifs de recherche au Centre d’Etudes Avancées Franco-Japonaises à Paris (EHESS-FFJ) comprennent l’accès aux données d’entreprises avec des informations bilancielles pour évaluer le ratio d’entreprises zombies dans des cas européens, notamment en France et en Italie. J’espère aussi pouvoir mener de nombreux entretiens.

Bibliographie

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