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Yuichiro MIZUMACHI


LE DROIT DU TRAVAIL AU JAPON: UNE CLEF DU RAPPORT SALARIAL EN TRANSITION

Yuichiro MIZUMACHI (Université de Tokyo, Institut des Sciences Sociales)

                                                             


Le droit du travail japonais connaît une phase de transition depuis plusieurs années. Ainsi, par exemple, du point de vue du droit législatif, la loi du 12 mai 2004 a permis d’instaurer un nouveau système judiciaire, par la création du « Tribunal du Travail ». De plus, la loi du 5 décembre 2007 a clarifié les règles juridiques qui s’appliquaient au Contrat de Travail. Enfin, le gouvernement Hatoyama prépare actuellement une révision de la loi sur le travail intérimaire ainsi que l’élaboration d’une nouvelle loi sur le Contrat à Durée Déterminée pour limiter leur utilisation et assurer le principe d’égalité.
Parallèlement à ces réformes, il est possible d’observer une certaine transformation, moins visible et pourtant bien avancée, du contenu du droit du travail. Il s’agit d’une « procéduralisation » ou « contextualisation » du droit, qui vise à prendre en compte la complexité des situations dans la société réelle.
On peut citer à titre d’exemple la réglementation du licenciement pour raison économique. Pour contrôler rigoureusement cette pratique, la jurisprudence japonaise avait établi quatre conditions nécessaires: (I) la nécessité économique de réduire le personnel, (II) l'obligation de faire tous les efforts possibles pour éviter le licenciement, (III) l'équité de la sélection des salariés licenciés, et (IV) la consultation loyale des syndicats ou des salariés. La jurisprudence avait élaboré cette «doctrine du licenciement pour raison économique», d’une part, en prenant en considération la pratique des relations professionnelles japonaises (II), notamment la méthode d’ajustement de l’emploi adoptée par les grandes entreprises lors des crises pétrolières, et d’autre part, en prenant en compte le facteur procédural (IV).
On peut constater récemment deux séries de transformations affectant cette doctrine. Premièrement, les tribunaux ont tendance à considérer ces quatre points comme des « facteurs », et non comme des « conditions nécessaires ». En d’autres termes, cela signifie qu’ils ont renoncé à la doctrine des « quatre conditions nécessaires du licenciement pour raison économique », trop rigide, et statuent sur le caractère abusif du licenciement en tenant compte de ces « quatre facteurs » de manière synthétique et flexible en fonction des situations concrètes.
Deuxièmement, on peut constater dans cette doctrine une tendance à accorder plus d’importance à la procédure du licenciement qu’à sa substance. Face à la complexité des situations de gestion, il est de plus en plus difficile de juger le caractère substantiellement raisonnable du licenciement, c'est-à-dire sa justification au regard de la nécessité économique et de la pertinence de recourir à une telle mesure. Ainsi, le juge tend à juger plus précisément ce caractère raisonnable d’un point de vue procédural plutôt que substantiel. Par exemple, il étudie en détail si l'employeur a pris des mesures suffisantes pour aider les salariés licenciés, et s’il a bien négocié - discuté - étudié avec les syndicats et les salariés concernés la question du licenciement en leur expliquant de manière loyale de quoi il retourne.
Une telle transformation, dite « procéduralisation » ou « contextualisation » du droit, peut être appréciée comme une réforme permettant de s’adapter à des situations socio-économiques plus diversifiées, en faisant valoir l’avantage de la structure organisationnelle « à la japonaise » capable de s’adapter de manière flexible aux changements d’environnement.
Cependant, cette tendance à la « prodéduralisation » peut également être critiquée. Au Japon, où l’on peut considérer en un sens que la « modernisation » - dont l’essentiel repose sur le respect de l’individu par l’institution centralisée - n’a pas été pleinement achevée, la « procéduralisation » ou « contextualisation » du droit risque d’entraîner un retour vers une société «pré-moderne». En effet, dans la société japonaise où, d’un côté, subsiste encore dans chaque entreprise une culture de concertation fermée et communautaire de caractère « pré-moderne », et où, d’un autre côté, la législation du travail provenant de l’Europe moderne n’est pas encore suffisamment forte dans la pratique, la transformation en droit « procédural » ou « contextuel », prônant la résolution des problèmes par la négociation, risque de faire reculer la protection moderne et de constituer un retour en arrière.
Lors de cette phase de « procéduralisation » ou de « contextualisation » du droit au Japon, il est donc nécessaire d’institutionnaliser les deux points suivants : (I) l’ouverture et la transparence de la concertation ou de la négociation, et (II) la coordination réflexive de multiples points de vue dans la concertation ou la négociation.
En effet, le risque le plus important serait de voir un groupe imposer par la force son contrôle sur une communauté. Seraient alors exclues les minorités ainsi que les personnes extérieures, ce qui conduirait à la création de facto d’une organisation communautaire fermée et linéaire qui ne puisse plus s’adapter aux changements d’environnement rapides et variés. Il est donc indispensable, d’une part, de systématiser une concertation qui soit transparente et ouverte, et non pas fermée et informelle. D’autre part, il est nécessaire d’identifier et de résoudre un problème donné sous ses aspects multiples en respectant réciproquement l’expression des différences de valeurs et d’intérêts, pour éviter le recours à une décision linéaire, celle de la « force » ou du « nombre ».
Selon nous, le droit du travail japonais se trouve donc à la croisée des chemins pour renaître plus ouvert, transparent et réflexif.
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